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Au Québec, 38 % des adultes en traitement pour dépendance à l’alcool et aux drogues sont parents d’enfants de 17 ans ou moins.[1] Il s’agit d’une problématique qui interfère avec leur rôle de parent. En effet, le temps et l’énergie consacrés aux activités de consommation chez ces parents limitent leur disponibilité pour répondre aux besoins de leur enfant, ce qui constitue un risque pour le développement de leur enfant.
Grandir dans un environnement fait de chaos, d’imprévisibilité, de disputes, de raisonnements illogiques et parfois, de violence et d’inceste, traduit le vécu des enfants victimes de l’alcoolisme parental. Bien qu’il n’y ait pas deux familles identiques, il est fréquent que ces enfants, partagent des expériences communes.
Le déni : Les parents niant leur problème, vont plutôt avoir tendance à blâmer les autres au lieu de se responsabiliser. Par conséquent, les enfants apprendront à faire de même. Ils auront tendance à réprimer leurs émotions.
Le manque de modèles sains : Les enfants ne peuvent apprendre comment fonctionnent des relations saines par manque de modèle. Ils pourraient ainsi répéter le même modèle une fois adulte.
Culpabilité : Les enfants se sentent responsables, ils croient que le parent boit à cause de lui.
Le manque de limites : Vivre dans une famille imprévisible où les règles sont instables et la discipline incohérente, peut donner aux enfants un sentiment d’insécurité.
Secret et honte : Avoir un parent alcoolique peut être honteux. L’enfant cherchera à dissimuler sa famille dysfonctionnelle, à ne pas inviter d’amis à la maison. Il tiendra secret sa situation familiale.
Isolation : Beaucoup d’enfants vont se sentir bien seuls. Ils apprennent vite qu’ils ne peuvent pas faire confiance aux adultes et ne peuvent compter sur eux. Ils auront tendance à se replier sur eux-mêmes.
Alors, imaginez un seul instant que vous ayez été cet enfant. Que vous ayez senti que quelque chose n’allait pas ou que vous ayez entendu votre parent éméché arriver tard. Peut-être vos parents vous ont-ils dit : Je n’ai presque rien bu. J’étais juste fatigué, c’est pourquoi je me suis endormi par terre. Ton père n’était pas ivre, il est rentré tard parce qu’il a des soucis, ce n’est pas grave, ça va passer. J’ai bu de la bière pas de l’alcool.
Comment faire confiance en ses propres perceptions quand elles sont si facilement invalidées par ceux qu’on aime et qui sont sensé nous protéger ? Beaucoup d’enfants vont alors douter. Ne plus croire ce qu’ils voient, entendent ou comprennent, donc minimiser le problème, à leur tour. Plus grave encore, pour continuer à dénier et minimiser, ils apprendront à se couper de leurs émotions et vivront avec cette impression de confusion. Certains continueront de croire en leurs émotions. Cependant, ils comprendront qu’ils pourraient se les faire reprocher. Ils choisiront de se taire et se méfieront des personnes dignes de confiance et d’eux-mêmes.
Pour faire face à tous ces déséquilibres, l’enfant s’installera dans un ou plusieurs rôles, pour une période indéterminée. Ce rôle emprunté lui servira de protection. Malheureusement, ce masque l’éloignera de ses propres besoins, de sa propre identité.
Voici les 7 rôles les plus empruntés.
Le Héros: Il affiche à l’extérieur de sa famille que tout va bien alors qu’il se sent impuissant à l’intérieur.
Le Sauveteur: C’est le conseiller, l’infirmier, le médiateur. Il prend en charge les besoins d’autrui. Malheureusement, ses besoins sont mis en veille et son dévouement ne suffit jamais. Il grandit en concevant qu’il n’en fait jamais assez.
Le Bouc-Émissaire : C’est celui qui attire l’attention, qui est le fauteur de troubles. Il exporte son malaise en agissant de manière rebelle ou dommageable. C’est le plus à risque de délinquance ou de troubles scolaires, ou les deux.
Le Clown : Il est chargé de faire rire, de diminuer la tension. Il est le premier a détecté les émotions, alors il s’en occupe, s’agite pour distraire les gens. Il devra comprendre qu’il peut être aimé sans attirer l’attention.
L’Enfant invisible : C’est celui qui est discret, qui n’attire pas l’attention pour ne pas donner de souci. Il ne demande rien, peut passer des heures seul.
Il aura à apprendre à s’affirmer, à surmonter ses craintes, à faire confiance et à trouver la sécurité en lui.
Le Petit Roi : C’est celui ou celle qui reçoit tous les privilèges du parent alcoolique qui se sent coupable. C’est celui qui fait les plus grosses colères. C’est celui qui, sans limites, deviendra un adolescent tyrannique.
L’enfant déficient intellectuel : C’est celui qui en raison du stress familial, a sacrifié son intelligence. Il n’a pu la développer, prisonnier d’une communication incohérente, générant de la confusion. Ici, la solution n’est pas qu’un enrichissement scolaire. C’est en étant en présence d’une communication chaleureuse et d’un d’environnement bienveillant que ce trouble se renversera.
« En terminant, il ne faudrait pas oublier ces enfants qui vont bien, qui ont su mobiliser leur capacité de résilience et trouver dans leur environnement des nourritures affectives favorables à leur guérison ».
N.B. Dans le prochain numéro nous aborderons les répercussions de l’alcoolisme parental sur ces enfants devenus grands.
[1] Revue canadienne de service social, vol 33